Eradiquer une fourmilière

MISE EN GARDE: Si vous êtes un lecteur assidu de Bernard Werber, veuillez consulter une autre rubrique, merci.

Il était une fois une fourmilière dans le coin de ma maison qui commençait à m'embêter sérieusement. D'une part parce que les fourmis étaient nombreuses en ce début de printemps, d'autre part parce qu'elles avaient élu domicile au niveau du toît, en remettant en cause l'étanchéité déjà douteuse de ma maison. Je ne pouvais pas me laisser usurper mon foyer par ces créatures démoniaques. Je les voyais gravir le mur jusqu'au toît en une ligne mouvante noire et obstinée. Il fallait agir, et vite. Au fur et à mesure qu'elles montaient je les faisais tomber avec le bout d'un roseau, mais au bout d'une heure elles montaient toujours avec la même obstination. Je postai alors mon chat Mioumiou prés du mur pour qu'il les fauche de ses terribles pattes velues. Lui aurait plus de patience que moi. Mais je me rappelais avoir vu jadis une souris enlevée par une tribu de fourmis affamées et qui fut désintégrée en quelques instants. Mioumiou était dodu et sentait la croquette, il n'aurait pas tenu dix minutes. Je donnai congé au chat et poursuivai mes investigations.
J'essayai ensuite de mettre du parfum sur le mur pour perturber les trajectoires odoriférantes qui menaient au toît et qui guidait le convoi infernal. Badigeonner une masure avec du Cacharel, c'est une chose qui vous donne l'impression d'exister l'espace d'un instant. Sur le moment les insectes en furent tous décontenancés et le flux se vaporisa en une masse confuse.
Je fuyai avec Mioumiou devant la foule en délire, par peur des remontrances (certaines fourmis volent, certaines croquent, et d'autres font les deux). Le lendemain je decouvris dépité que les fourmis avaient reconstruit le chemin du sol au toît. La fourmilière était en pleine croissance démographique. Mioumiou envisagea de déménager. Les fourmis allaient dévorer les souris, les oiseaux, puis il leur faudrait s'attaquer à des bêtes plus grosses. Entre moi et les souris il y avait juste le chat. Devant cet avenir funeste je pris la décision de préparer une arme chimique.
D'instinct je me dirigeai dans mon frigo. Mon oeil se posa sur le fromage blanc. Je rajoutai du sucre, du miel, de la fleur d'oranger, un peu d'alcool , du jus de citron. Je plaçai la texture au pied du mur en laissant passer quelques heures. Grâce à la viscosité exceptionnelle du mélange, je pense que toutes les fourmis s'enlisèrent les unes aprés les autres, et le soleil qui fit tourner le lait acheva les dernières survivantes. Le résultat fut spectaculaire. Nous fûmes sauvés. Le monde ne sut jamais à quelle horrible fin il avait échappé grâce à nous.


Bonus: Mais d'où vient cette aversion pour les fourmilières?
C'était un début d'aprés-midi. Je regardais le Club Dorothée avec ma soeur Marlène. Dehors un vent doux caressait la toison des arbres cotonneux, sans se douter du drame qui allait frapper cette journée apparemment comme les autres. Chère Mère fut animé d'un vif désir de contenter ses chérubins, aussi nous prépara-t-elle du pop corn maison. Elle ouvrit le sachet d'acétate de cellulose et remplit deux grands bols. Ce sachet était percé de trous pour aérer le pop corn. Les fourmis cachées à l'intérieur furent croquées avec le reste. Je ne voulais point décevoir le regard
bienveillant de Mère qui nous regardait mastiquer nos pops, et je continuai à manger en souriant, plein de reconnaissance. La fourmi a un goût piquant et acide, légèrement relevé et modulé en bouche, qui donne l'impression que l'insecte se débat sur la langue. Lorsqu'il est pris entre deux pop corn il exprime sa terreur en produisant un appel au secours avant d'être..bref, j'ai imaginé les pires choses pendant que je renvoyais ces fourmis dans le néant qui les avait engendrées. Depuis ce jour je lutte pour que la fourmi vive hors de ma maison ou loin de mon bol de céréales.